L'histoire de notre communauté débute en Algérie, au monastère des bénédictines de Médéa, fondé en 1945.

C'est là que nos fondatrices se formèrent à la vie monastique. L'entourage était à majorité arabo-musulman, et la communauté avait alors adopté le style de vie locale et priait en partie en arabe.​

Le 23 décembre 1963, la première liturgie orientale fut célébrée dans la petite chapelle du monastère. Quelques jours plus tard, lors du pèlerinage historique à Jérusalem de SS Paul VI, d’heureuse mémoire, le baiser de paix échangé avec S.S le patriarche de Constantinople, Athénagoras faisait vibrer Jérusalem de l’immense espoir de voir se réaliser l’unité tellement désirée entre les Eglises-sœurs. Le monastère vit ainsi se confirmer son appel à la prière pour l’unité des chrétiens, si cher à l’Eglise melkite dont il faisait désormais partie. Le 10 mars 1965, SB le Patriarche Maximos IV Saïgh procédait à l’érection canonique du monastère:
« Désormais, vous appartenez à no
tre Eglise qui désire aussi rayonner Notre Seigneur malgré sa pauvreté et son petit nombre. Nous travaillons pour l’Unité de l’Eglise, c’est très grand, cela demande beaucoup de grâces et peut rencontrer bien des obstacles. Mais ayons courage, la Crèche a vaincu les trônes des rois. » [1]

Tout en étant clairement inséré dans l’Eglise melkite, le monastère bénéficia d’un indult lui permettant de demeurer dans la Congrégation bénédictine de la Reine des Apôtres, à laquelle la fondation naissante appartenait. Saint Benoît en effet, est un saint de l’Eglise indivise et à ce titre il est également vénéré dans l’Eglise d’Orient qui tient sa Règle monastique en grande estime parmi celles d’autres Pères orientaux, tels saint Basile ou saint Théodore Studite. La spiritualité bénédictine demeure donc pour nous une richesse qui nous incite à approfondir les racines orientales du mouvement monastique : saint Benoît lui-même, à la fin de sa Règle, ne renvoie-t-il pas aux écrits des premiers Pères du Désert et de saint Basile ? « Les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies, ou la Règle de notre bienheureux Père saint Basile, que sont-elles sinon des instruments de vertu, légués par des moines courageux et obéissants ? » [2]. Moniales orientales de l’Eglise melkite tout en demeurant à part entière membres de la Congrégation bénédictine de la Reine des Apôtres, nous cherchons à vivre concrètement de ce grand idéal exprimé au Concile Vatican II par feu Sa Béatitude le Patriarche Maximos IV, à savoir d’être pont entre l’Orient et l’Occident. Le soutien fidèle de notre Congrégation nous a permis de traverser les nombreuses vicissitudes que connut la Palestine ces dernières années.

Dès leur arrivée, nos sœurs, alors au nombre de trois, se lancèrent dans un immense travail de traduction, lecture, recherche et contacts avec des moines et moniales orthodoxes et catholiques spécialistes de l’Orient chrétien comme les pères Dusing, Rochkau, Serima, Corbon, ainsi que les bénédictins de Montserrat qui, à la suite d’un appel de S.S.Paul VI, assuraient une présence monastique au centre œcuménique de Tantour, voisin du monastère. Les contacts avec nos frères orthodoxes étaient alors nombreux et profitaient du réchauffement des relations opérées par la visite du Pape et l’événement du Concile. La vie au monastère encore  perdu au milieu des oliveraies et que l’on rejoint par un petit chemin de terre, était très simple, et le quotidien tissé par la récitation de l’office byzantin en arabe, les temps de solitude, de travail, d’oraison, et les contacts avec les voisins arabes chrétiens. Les sœurs furent aidées par la congrégation qui leur envoya en renfort les bras et les têtes nécessaires à la construction et la bonne marche de la maison. Une quatrième sœur destinée à rester à Bethleem arriva en 1967 et le 2 mai 1980, les quatre professes fondatrices issues de Médéa fixèrent leur stabilité à monastère de l’Emmanuel, en juillet, suivies d’une professe du Portugal, ermite au monastère depuis 1975. L’année suivante, un indult de Rome autorisa les professes de l’Emmanuel à recevoir les insignes de la consécration du microschème [3], devenant ainsi pleinement moniales selon le rite byzantin. Le lendemain de cette cérémonie, le 6 février 1982, la première novice, sr Mariam-Ibrahim, devenait rasophore [4]. Ce changement vestimentaire marquait une nouvelle étape vers l’Orient. Mais le gros travail de ces années fut aussi la rédaction du Typikon [5] du monastère qui intègre l’héritage de Saint Benoît, mais aussi celui des Pères orientaux. Les parties juridiques sont conformes au code des canons des rites orientaux et aux statuts de la congrégation de la Reine des Apôtres. La première version du Typikon est approuvée ad experimentum pour 7 ans le 30 juillet 1984, ce qui permit à notre sœur ermite, de recevoir le mégaloschème en la fête de St Sabbas (Père des moines du désert de Judée) et à notre première rasophore, Sr Mariam-Ibrahim, de recevoir la consécration du microschème [6]. D’autre part, Sr Mariam Ibrahim confirma et intensifia la participation de la communauté au grand mouvement de renouveau dans l’Esprit Saint qui jaillit au cœur de l’Eglise protestante et catholique dans les années 1970 et 1980. Elle avait en effet largement contribué à sa diffusion en Belgique après avoir rencontré des groupes charismatiques aux Etats Unis. Le monastère devint alors une étape pour  de nombreux pèlerins et un petit groupe de prière se forma avec quelques unes de nos voisines. Peu de temps après sa profession, Sr Mariam Ibrahim offrit sa vie pour l’Unité de l’Eglise  et tomba malade. Le 29 mai 1986, elle retournait au Père. Le grain était semé en terre, la moisson lèverait un jour. La période de fondation s’acheva avec l’approbation définitive du Typikon de notre monastère le 15 octobre 1994 et la bénédiction de notre première higoumène. Les principaux traits de notre vocation sont l’insertion dans la grande tradition monastique des Pères de l’Eglise indivise, et dans l’Eglise melkite, la vie de renouveau  dans l’Esprit, les liens de fraternité avec notre voisinage arabe, la prière pour l’unité des chrétiens, l’accueil de pèlerins de toute confession, mais  aussi de retraitants  grâce à une petite hôtellerie. Depuis, notre communauté, bien que toujours petite, se développe et la Divine Providence nous encourage de ses signes. Nos anciennes sont toujours avec nous dans l’aventure, et des jeunes nous ont rejointes. Nos sœurs ont traversé depuis 1967, guerres et intifadas. Aujourd’hui, la Terre Sainte demeure déchirée. Cette réalité de souffrance et d’enfermement nous plonge au cœur du drame de l’histoire humaine, et le nom d’Emmanuel « Dieu avec nous », discerné dès les premiers temps de la fondation, se charge d’un appel particulier à demeurer des cœurs brûlants d’amour, ouverts à tous : pèlerins, amis de toutes confessions. La prière liturgique régulière est un lieu de réel ressourcement et de rencontre avec le Seigneur pour ceux de notre entourage. Des liens très forts se sont tissés avec les familles éprouvées de notre voisinage. Nous aimons accueillir des religieux, séminaristes du diocèse en retraite, et leur faire découvrir ou approfondir la richesse de notre rite oriental. Des amis protestants nous ont encouragées à nous rassembler chaque jeudi soir, dans une prière pour l’unité des chrétiens, autour de la lecture des derniers discours de Jésus à ses disciples, après leur avoir lavé les pieds (Jn 13-17) : « Père qu’ils soient un, comme nous sommes un » Nous sommes dépourvues de tout moyen logistique d’envergure. Notre témoignage est essentiellement présence. Mais cette présence chrétienne est importante, parce qu’elle est à sa petite mesure, la garantie d’un Proche-Orient multicolore, dont la clef d’unité n’est pas la violence mais la convivialité. La chrétienté en Orient est déjà en elle-même représentative de l’heureuse diversité des confessions chrétiennes (toutes sont rassemblées à Jérusalem : orthodoxes grecs, russes, syriens, coptes, arméniens, éthiopiens ; réformés; anglicans ; latins, etc). Elle est donc un témoignage en soi que l’amour et l’acceptation de l’autre dans le respect de sa liberté religieuse ou sociale, est l’unique remède à la guerre et aux conflits qui secouent la région depuis des décennies. L’enracinement séculaire de la chrétienté en Occident, prédispose les chrétiens d’Orient, insérés dans des milieux à majorité musulmane, à être un pont de compréhension entre Occident et Orient, à combler le grand manque de confiance subsistant entre eux. Si la présence chrétienne s’éteint en Orient, qui témoignera à leur place que la convivialité est possible avec nos frères musulmans ? Et qui témoignera en retour à nos frères musulmans d’Orient, l’ouverture de l’Occident et sa solidarité à leur égard ? « La convivialité est l’avenir de l’humanité et du Proche-Orient. Cela signifie la rencontre de l’homme avec son frère et tout humain. C’est le dialogue des civilisations et des cultures, et de la foi entre tous les fils et toutes les filles de la foi » [7]. Par notre présence, nous voulons aider les chrétiens de Terre Sainte à prendre conscience de la beauté de leur propre vocation. Priez pour nous.



[1] Extrait de l’Homélie de Sa Béatitude Maximos IV Sayegh lors de l’érection du Monastère de l’Emmanuel, le 10 mars 1965
[2] Règle de saint Benoît, LXXIII
[3] Microschème : petit habit, c’est le nom de la profession monastique des cénobites. Ses insignes sont la paramandias (petit carré de tissu où sont brodés tous les instruments de la Passion ; il se porte sur le dos et il est tenu au moyen de cordons se croisant sur la poitrine), la croix pectorale en bois la tunique noire, la ceinture de cuir, le mandia (grand manteau sans manche qui couvre tout le corps ; le tissu est plissé 33 fois dans le dos ; il est porté aux grandes fêtes), le voile noir, les sandales, le chapelet de Jésus et la croix manuelle.
[4] C’est-à-dire qu’elle reçut le rason, manteau de chœur. Le rasophorat constitue une étape majeure vers la profession du microshème. Certains moines orientaux liés par des obligations extérieures au monastère, peuvent rester rasophores (porteurs du rason), toute leur vie.
[5] Le typicon (en grec : τυπικόν, typikon; pl. τυπικα, typika) est un livre liturgique qui contient les instructions d’un Ordre monastique
[6] Le mégaloschème, grand habit, n’est pris que par quelques moniales, en réponse à un appel à une vie plus retirée, avec une règle de vie ou canon particulier.
[7] Lettre de Noël, SB le Patriarche Grégoire III Laham